Chapitre 30 : L'explicite et l'implicite
Introduction :
La difficulté de compréhension d'un texte provient souvent de tous les « non-dits » que l'auteur n'a pas jugé bon d'expliciter, soit qu'ils renvoient pour lui à des évidences, soit qu'il juge plus prudent, ou plus fin, de ne pas clarifier.
I – L'explicite
Expliciter, c'est défaire les plis : la métaphore du texte comme tissu souligne la nécessité de « mettre les choses à plat ». Est donc explicite ce qui est réellement exprimé, formulé ; ce qui dans un énoncé ne laisse aucun doute, aucun équivoque.
Les textes totalement explicites sont très rares. Les notices techniques doivent souvent leur longueur à leur volonté d'être explicites : on pourra noter que cela finit tout aussi bien par rendre un texte illisible !
II – L'implicite
On dit qu'un texte contient des éléments implicites lorsqu'il renferme des propositions, des informations qui, sans être formellement exprimées, peuvent être déduites de l'énoncé.
Les allusions à une personne ou à une idée sont à prendre en compte, autant que les présupposés qui sont comme des principes préalables à toute discussion.
A – Un usage involontaire
Il ne faut pas toujours voir dans l'implicite d'un texte une volonté de la part du locuteur. Ainsi, la phrase « En ce temps-là, il faisait bon vivre ! » suppose implicitement que les tps ont changé.
Très souvent, les références que l'on fait sont « implicites » car on les suppose connues de tous. Celui qui dit : « Eh bien, Proust et sa madeleine, ils en ont fait couler de l'encre ... » ne juge pas nécessaire de développer sa référence à la remontée inconsciente du souvenir, car il lui semble que son discours est limpide. L'usage de l'implicite s'explique ici par le fait que l'on s'adresse à un public qui appartient à une même communauté culturelle. Il s'avère, en revanche, que l'incapacité de décoder ce genre de référence est sanctionnée par une exclusion des rangs de cette communauté.
B – Un jeu
Le jeu avec l'implicite est souvent volontaire : l'auteur s'arrange pour être compris, et stimule la réflexion de son interlocuteur. La complicité entre locuteur et récepteur s'accroît d'autant plus que certains demeurent exclus de la communication et ne décodent pas l'implicite. C'est souvent le cas dans l'usage de l'ironie.
C – Un exemple
Extrait de l'ouvrage de Pierre Desproges : Les Étrangers sont nuls.
« Aujourd'hui, il y a deux sortes d'Irlandais. Les Irlandais du Sud, qui sont à l'ouest de l'Angleterre, et les Irlandais du Nord, qui sont en dessous de tout. Les Irlandais du Nord se divisent en deux : les catholiques et les protestants. Comme ils croient que ce n'est pas pareil, ils s'entretuent avec vigueur pendant les heures de bureau. Les protestants sont attachés à la couronne britannique. Les catholiques sont farouchement républicains, comme Edgar Faure, par exemple. »
Ce texte est rempli d'implicites ; pour être entièrement compris, il nécessite la connaissance de plusieurs faits historiques : partition entre l'Irlande du Nord et l'Irlande du Sud , origine de la question de l'Irlande (Cromwell, son coup d'État contre la monarchie anglaise), définition des 2 religions chrétiennes que sont le catholicisme et le protestantisme ...
Mais aussi , une part de la saveur du texte provient de l'allusion à Edgar Faure, qui était connu sous la Ive et la Ve Rép' pour son opportunisme (il disait de lui-même : « Ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent ... »). Il apparaît alors que pour prendre plaisir à la lecture de ce texte, il faut reconstituer ce qui relevait de l'évidence pour Pierre Desproges.
On pourrait opter pour une formule qui définirait assez bien l'usage de l'implicite : « À bon entendeur, salut! ».