Chapitre 26 : La phrase
Introduction :
La phrase est une séquence de mots que tout un chacun est capable de produire et d'interpréter, et dont il sent intuitivement l'unité et les limites.
I – Reconnaissance formelle de la phrase
Du PDV graphique, la phrase est délimitée par une majuscule et par une ponctuation forte.
Du PDV phonétique, la phrase est encadrée par une pause et une intonation (qui varie en fonction du type de phrase).
Du PDV syntaxique, on considère que la « séquence de mots » est ordonnée par des relations qui obéissent aux règles de la grammaire.
II – La phrase de base
L'analyse de toute phrase prend pour référence ce qu'on considère comme une « phrase de base » simple, qui correspond au schéma suivant :
Sujet + verbe + complément (ou attribut) + complément circonstanciel.
Les études de style se réfèrent toutes implicitement à ce schéma, et on l'analyse en fait les écarts par rapport à cette « norme », ces écarts devenant sujets à interprétation.
III – La phrase nominale
L'absence de verbe, par ex, qui constitue la « phrase nominale », est toujours le signe de qqch : cela peut être la marque d'un style oral, car, à l'oral, il arrive souvent que l'on n'achève pas ses phrases ; cela peut être aussi le signe d'une volonté de rupture, comme dans le cas de ce poème de Rimbaud.
« Assez vu. La vision s'est rencontrée à tous les airs
Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours.
Assez connu. Les arrêts de la vie. – Ô Rumeurs et Visions !
Départ dans l'affection et le bruit neufs ! »
(Illuminations)
IV – La phrase complexe
On considère qu'une phrase est « complexe » lorsqu'elle comporte plusieurs propositions coordonnées ou subordonnées, ce qui suppose alors la présence d'une proposition principale.
Lorsqu'un texte multiplie les phrases complexes, on peut y voir le signe d'une pensée qui se cherche. La présence chez Proust de longues phrases est souvent la trace de l'effort de mémoire opéré par le narrateur. Prenons un ex tiré du célèbre « épisode de madeleine ». Le narrateur vient de boire une gorgée d'un « breuvage » où il a trempé une madeleine :
« Il est clair que la vérité que je cherche n'est pas en lui, mais en moi. Il l'y a éveillée, mais ne la connaît pas, et ne peut que répéter indéfiniment, avec de moins en moins de force, ce même témoignage que je ne sais pas interpréter et que je veux au moins pouvoir lui redemander et retrouver intact, à ma disposition, tout à l'heure, pour un éclaircissement décisif. »
(Du côté de chez Swann, I)
V – Les incises
Le fil d'une phrase peut être interrompu par une « incise », mise entre tirets, entre parenthèses, et parfois simplement entre virgules. C'est souvent le signe d'une sorte de dédoublement de l'énonciateur, qui intervient dans son propre discours pour le commenter. C'est aussi le signe d'une tendance à la digression, surtout lorsque l'incise prend de l'ampleur ; il faut alors réfléchir sur les liens qui unissent ce qui est dit dans la phrase « englobante » et ce qui est dit dans l'incise.
Dans Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ?, Georges Perec raconte avec humour les efforts d'un militaire pour déserter : les incises sont nombreuses, elles sont la trace de la distance que le narrateur prend avec ce qu'il raconte, et visent à perturber en permanence la lecture par de micro-récits inutiles à la trame principale :
« Nous écrivîmes une belle lettre pour un copain qui était médecin à Pau (précisons tout de suite qu'il n'était pas dermatologue, et que sa femme n'était pas écuyère), belle lettre à mots couverts, car nous nous méfiions de la DST dont on disait qu'elle avait des hommes à elle dans tous les bourreaux de poste ».