Séquence 1 : Les genres littéraires
Chapitre 4 : Une vision de l'homme, une vision du monde
Introduction :
Que ce soit avec la volonté avouée de transmettre une idéologie ou que ce soit sans projet véritablement concerté, le roman véhicule une pensée sur l'homme et sur le monde dans lequel il inscrit ses personnages.
I – Un vecteur de valeurs
Si les premiers romans n'ont pas pour fonction première d'exprimer un engagement politique ou religieux, il est évident que le récit des épreuves d'Yvain, le chevalier au lion, de Chértien de Troyes fait implicitement l'éloge des vertus qui doivent caractériser le chevalier médiéval et qu'il transmet ainsi un code de l'honneur. De même, la quête de Perceval Véhicule des valeurs chrétiennes.
Dans la littérature contemporaine, l'absence de destin exceptionnel pour le personnage principal peut être considérée comme la trace d'une idéologie égalitaire, refusant par principe la notion de « surhomme ».
II – Une volonté didactique
Cependant, l'engagement du romancier est le plus souvent volontaire et visible. Il concerne aussi bien les domaines moraux, politiques, ou religieux que les domaines esthétiques. Dans la préface de son roman Mademoiselle de Maupin, Théophile Gautier s'indigne de ce qu'on réclame au roman d'être utile et vertueux, il préfère cultiver simplement la beauté : Il n'y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car c'est l'expression de quelque besoins, et ceux de l'homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature. – L'endroit le plus utile d'une maison, ce sont les latrines. Moi, [...], je suis de ceux pour qui le superflu est le nécessaire, – et j'aime mieux les choses et les gens en raison inverse des services qu'ils me rendent. »
Le panel des formes d'engagement est large. On peut penser aux différents combats des écrivains des Lumières : Montesquieu, dans les Lettres persanes (1721), porte un regard critique sur la monarchie française, Choderlos de Laclos, dans les Liaisons dangereuses (1782), prend position sur l'éducation des femmes.
On peut évoquer la dimension morale des romans de Balzac qui en épigraphe d'Illusions perdues reprend la devise de Molière : castigat ridendo mores (il châtie les m½urs en riant), aussi bien que leur dimension politique : dans la Duchesse de Langeais, il livre une réflexion sur la société de la Restauration et sur une aristocratie vieillissante qui ne sait pas reconnaître le mérite.
On peut rappeler le rôle d'Hugo dans le combat contre la peine de mort (cf. Claude Gueux et Le dernier jour d'un condamné).
On doit souligner que c'est à propos de Zola que l'on a employé pour la première fois le terme « intellectuel ».
Enfin, au XXe siècle, on évoquera le communisme d'Aragon ou l'engagement de Malraux auprès des Républicains espagnols (L'Espoir, 1937).
III – Une « sagesses de l'incertitude »
Cependant, de façon beaucoup plus général, dans la mesure où le roman donne la parole à une multitude de personnages qu'il fait dialoguer, et que, dans la majorité des cas, l'auteur n'intervient pas expressément pour dire qui a raison et qui a tort, le roman induit une forme de tolérance, une acceptation de la multiplicité des points de vue et une affirmation de la complexité du monde. C4est ce qu'explique Milan Kundera dans L'Art du roman : « Comprendre avec Cervantes le monde comme ambiguïté, avoir à affronter, au lieu d'une seule vérité absolue, un tas de vérités relatives qui se contredisent (vérités incorporées dans des egos imaginaires appelés personnages), posséder donc comme seule certitude la sagesse de l'incertitude, cela exige une force non moins grande. »
Par ailleurs et enfin, on peut estimer qu'en nous invitant, nous lecteurs, à nous identifier à différents personnages, le roman nous apprend à nous déprendre de nous-mêmes, à nous décentrer : il favorise donc l'acceptation de l'autre et la prise de distances par rapport aux valeurs et aux coutumes qui nous sont familières.